Venue de son petit village marocain pour faire des ménages, c’est en France et à 50 ans que Tata Milouda réalise le rêve de toute sa vie : apprendre à lire et à écrire.
Elle découvre le pouvoir de l’écriture, commence à assembler des mots pour témoigner de la vie isolée des femmes des campagnes, de la douleur de l’émigration, suit les ateliers d’écriture d’un certain Grand Corps Malade… et devient une valeur montante du slam francophone (à la sauce Tata Milouda).
C’est ainsi que son histoire incroyable a commencé… Depuis, épaulée par le musicien Tarik Chaouach, Tata Milouda parcoure les routes et les plateaux télé pour témoigner et partager son équipée artistique.
Souvent elle raconte : "J'étais encore femme de ménage quand j'ai commencé à slamer. Pour aller dans les soirées slam, je prenais parfois le Rer, 2 bus et je montais sur scène avant de repartir chez moi... Pour me lever le lendemain à 5 heures du matin, aller passer l'aspirateur et faire du repassage".
La recette de Tata Milouda : du courage et et de la ténacité, avec une grosse dose
d'optimisme, de joie de vivre et une montagne de générosité. Et ce sentiment d'avoir tant de choses à rattraper.
Rapidement, la débutante se fait un nom dans le monde du Slam, où son sens inné de la poésie s'impose. Son énergie communicative dissout les barrières. Il faut dire qu'elle y va. Elle ose. L'écriture lui a ouvert des portes insoupçonnées, elle lui fait une confiance sans faille : elle écrit à tout le monde. Aux présidents de la République (Jacques Chirac, qu'elle guette aux abords de Notre Dame pour lui remettre une lettre en mains propres; Nicolas Sarkozy; François Hollande), à des personnalités qui l'émeuvent ... certains lui répondent, il s'engage alors une correspondance. Chez elle, Tata Milouda a une valise qui déverse un flot de courrier chaque fois qu'elle l'ouvre : ce sont ses précieuses missives, aux enveloppes maintes fois ouvertes et respectueusement refermées, aux phrases lues et relues à la lumière du balcon de ce hlm de banlieue.
Et puis il y a ses trophées. Ses trésors. Les premiers sont son cahier et son stylo, ceux avec lesquels elle a appris a former des bâtons, puis des lettres malhabiles et enfin des mots. Ce sont d'ailleurs ceux qu'elle utilise sur scène, car elle n'envisage pas un instant de s'en séparer ou de tricher en utilisant des accessoires de théâtre.
Il y a ensuite ses diplômes obtenus alors que tout le monde lui conseillait de laisser tomber. Une fois passé le cours d'alphabétisation, sa famille, ses copines, même les services sociaux s'attendaient à ce qu'elle arrête. C'était déjà une belle réussite pour une femme (ex)analphabète de cinquante ans.
Mais Tata Milouda avait chopé le virus, elle avait découvert qu'on peut apprendre à tout âge. Proust recherchait le temps perdu, Milouda voulait le rattraper. Alors en douce, avec l'argent des courses, elle pris des cours d'internet. Des cours de théâtre, sans tenir compte des rires moqueurs quand elle n'arrivait décidément pas à déclamer Molière. A chaque étape, correspond un papier, un certificat qui atteste du chemin parcouru.
Il y a aussi ses dictionnaires et ses manuels de grammaires, qu'elle lit et relit avidement en tachant de retenir des mots nouveaux, des noms qui correspondent à des choses inconnues auparavant, ou à des équivalents français de mots arabes. Et ne vous étonnez pas si au cours d'une conversation, Tata Milouda va soudain vous interrompre pour s'arrêter sur un mot, vous demander de le lui épeler et l'inscrire avec soin sur un bout de papier : chaque occasion d'apprendre est un moment à ne pas rater.
Si la première partie de son chemin est pavée de souffrances, la route de Tata Milouda est désormais jalonnée de belles rencontres. Il serait difficile de toute les citer : Christine Vainqueur, sa formatrice qui l'a tant aidée et épaulée, certaines de ses patronnes (toutes n'étaient pas comme celles qui lui confisqua son passeport et la garda enfermée clandestinement pendant des mois), Grand Corps Malade, Méziane Azaïche (patron du Cabaret Sauvage) et Frédéric Mitterrand, alors ministre de la culture, qui lui décerna le titre de Chevalier des Arts et Lettres de la République Française.
La médaille fut remise par Grand Corps Malade, l'ami fidèle, à la mairie d'Epinay sur Seine en juillet 2012 lors d'une cérémonie où Tata Milouda était entourée de ses filles, son petit fils et des amis (Christine, Méziane, Tarik...)
Belle revanche pour la petite Marocaine analphabète, qui n'était quasiment jamais sortie de son village avant de prendre l'avion pour Paris !
Par son exemple, elle a entrainé de nombreuses femmes immigrées vers les cours d’alphabétisation telle la superbe bande de copines sexagénaires, magnifiquement filmées par la journaliste Hadja Lahbib dans le documentaire « Patience, Patience… t’iras au Paradis ».
Et à 65 ans, Tata Milouda fait ses premiers pas comme comédienne dans le film « D’une pierre deux coups », réalisé par Fejria Deliba, un road movie où elle campe une mère de famille nombreuse aux côtés de Brigitte Roüan et de Zinedine Soualem.
Mais ce qui fait avancer Tata Milouda, c’est avant tout cette belle aventure humaine qui s’enrichit à chaque spectacle, à chaque rencontre avec le public.
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